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Mains d'oeuvres - Page 2

  • !Kung Filage

    !Kung Solo est présenté les 12 et 13 janvier à Mains d'Oeuvres dans le cadre du festival Faits d'Hiver.
    l'article qui suit a été mis en ligne le 8 janvier.
    La piece se file, le temps plus lentement, lui-même ne s'enfuit même plus du tout quand tous les mouvements se figent. Qui voire revient deux ans avant. Ce !Kung Solo est d'abord pour moi le souvenir de Paris Possible, en plus net désormais, et plus coloré.

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    La répétition de ce soir à Mains d'Oeuvre est grande ouverte: nous sommes une bonne vingtaine. Le hasard place assise à mes cotés, Eléonore Didier: il y a matière à sourire et à s'interroger-à défaut de penétrer ses pensées- en surprenant du coin de l'oeil ses gestes et ses mimiques muettes, ses réactions attentives aux actions de son interpréte: Mathilde Lapostolle. Celle dernière qui reprend le rôle dansé jusqu'alors par la chorégraphe elle-même, plutôt transpose, parait solidifier ce qui errait jusqu'à présent dans le territoire de la recherche, de l'incertain. Du soi à l'interprète, quelque chose échappe à l'intime, s'objectivise, comme un manuscrit que l'on voit enfin imprimé en livre. Par moment Eléonore sourit ou se fige, trépigne lorsque-deductivement-quelque chose ne file pas comme pévu. Se découvre-t-elle en double, sa disparation organisée, ce nouveau corps installé dans ses pensées? A un moment les yeux de Mathilde Lapostolle semblent noyés, braqués vers Eléonore qui alors plisse les siens. Les deux femmes semblent alors se scruter, de prunelle à prunelle. Du souvenir brut chair sur béton, dépouillé, de Point Ephémère , à la répétition de ce soir, le background s'est théatralisé; tapis vert pomme, jaune vif les chaussettes et frou-frous. La réprésentation est plus fantaisiste que le chantier. Mais l'échelle est restée. Eléonore, Mathilde: on pourrait d'abord confondre l'une et l'autre, corps planqué sous la doudoune, tête sous la capuche, visage sous les cheveux. Les mouvements pourtant ont ce soir quelque chose de plus définitifs, nets, dansés. Même quand elle retombe au repos, aprés être retombée plusieurs fois de suite comme si elle tentait de retomber toujours plus bas en vain, dans ce repos ou ce renoncement qui semble désormais interprété. Je jubile de revoir autrement ce moment provocateur (mais ce soir joué devant un public d'avance bienveillant). Je suis certain que, les prochaines fois, beaucoup en seront exaspérés. Le temps de la création a beau avoir laissé la place à celui de la réprésentation, il garde cette qualité d'indécision. Je retrouve aussi- agencées différement-d'autres pièces du mécano, d'autres matériaux. Déja vue, cette partie de jambes en l'air solitaire, d'une narquoise indécence, la tête qui s'entête à heurter le carton, et le corps mu par l'absent, corps muet et assymétrique, passif. Plus loin l'énergie épuisée, recroquevillée, le désir agite les seuls doigts, comme un premier ou dernier chatouillement. Toujours ces tentatives pour se glisser dans les interstices, y disparaitre, en autruche sous le tapis, sous le plastique. Il y a tous ces instants pour longtemps, et l'absence omniprésente. Mais pour en revenir sans cesse à un corps trivial et matériel, d'un humour incertain. D'autres passages réinterprétés semblent se préter à de nouveaux sens. Mathilde nue dans le rôle d'Eléonore- mais les photographes frustrés pour ce soir des instants les plus photogéniques, et drôles aussi- se dédouble elle-même sur la scène en photographe et modèle, rive son oeil à l'objectif, prend des poses inquiètes habillée de cartons, crée des images à foison, se refugie dedans comme sur un bateau de fortune, pour partir ailleurs. Cette piece me parle du temps qui passe, de pensées fugaces et plutôt inavouables, de l'insaisissable, du possible et de renoncement. Mais avant de partir -moi-même préssé, attendu ailleurs- je regarde chorégraphe et interprête dans ce processus, l'une dépossédée, l'autre captive, toutes deux frêles et volontaires. Cette sourde obstination à matérialiser les mêmes obsessions en art et gestes fait le jeu de mon regard, de ma mémoire de spectateur.

    C'éait une répétition de !Kung Solo d'Eléonore Didier avec Mathilde Lapostolle, à Mains d'Oeuvres. Guy

    Photo de Camille Muret (dossier de presse de Mains d'Oeuvres)

    Ici les photos de Vincent Jeannot-Photodanse et Jerôme Delatour- Images de danse.

  • Peut être Maxence Rey

    Il y a ce que les chorégraphes écrivent, et ce qu'ils dansent, et ce que l'on voit, et ce que l'on pense. Et entre, des espaces délicieusement flous.... Avant de voir Maxence Rey danser son solo, je lis la présentation de la pièce - ce qu'on appelle les intentions- mais vite j'oublie tout, tant la piece s'impose, s'interpose.

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    D'abord la présence de l'interprête- c'est un fait: on oublie pas Maxence- en longueurs et étrangeté, l'attraction du visage, des yeux. Tous les mouvements partent de ces yeux. La théatralité nait en cet endroit, sans vains bavardage. Rien n'est prononcé à voix haute (et c'est heureux), mais dans le texte- quand même je m'en souviens- il était question de vulnérabilté. Je m'en souviens, car si je ne l'avais pas lu je l'aurais sans doute de moi même formulé: le personnage se débat de quelque chose, femme muette et sidérée. L'interêt, c'est que cette lutte se laisse tout juste deviner, sans l'applatissement de l'évidence, pourtant l'action confinée dans l'espace de cette chaise, ses stricts alentours. Dans cet espace contraint: des éclats de paniques, des éclosions empéchées, des gestes échappés, des impressions renversées, bouleversées. Ce qui ne revient à ne rien dire sans évoquer la manière dont celà s'incarne: l'interprête semble éminemment extensible, élastique à tâtons, noire gainée, danse tout en lignes, se transforme, lance des ombres, en surprises et lenteur ménage des accélérations. Entre jambes et bras qui n'en finissent pas de s'allonger, le corps disparaît, les sensations fusent et s'évadent, et bizarrement c'est drôle, souvent. C'est du moins tout ce que je vois, mis à l'aise pour voir à un point que les interruptions et transitions encore à régler-il s'agit d'un filage- ne me troublent pas. J'en déduis que la composition est aboutie et concise (pas si évident pour un premier solo), bien équilibrée avec lumière et musique. Mais il y a aussi le costume et ce chapeau trés étrange. Les accessoires s'imposent pour déterminer une temporalité...ambiguë. Ici c'est le concret qui crée l'inexpliqué, conjugué à la force d'évocation du corps, nous renvoie à réver à des multiples et possibles références auxquelles le texte ne nous a pas préparé.

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    J'ai la chance de pouvoir discuter avec Maxence et ses invités autour d'un verre et de crocodiles en gélatine. Comme je peux lui dire que j'ai aimé ce que j'ai vu, la discussion est agréable. Pour autant, ce dont Maxence parle ne ressemble pas tout à fait au spectacle auquel j'ai pensé assister. Jérome, en bon classique, a reconnu des dieux et déesses antiques, aussi et malgré cela des images d'élégantes des années 20. Moi-même, j'évoque des références à l'esthétique publicitaire de la fin du XX°. Mais ce que l'auteur redit de son solo: des expressions sous-jacentes d'angoisses, de morts et de décomposition... je me trouve plus à l'aise pour qualifier ainsi son travail d'interprète dans les pieces d'Isabelle Esposito, qui d'ailleurs est présente durant cette discussion! Tout est pour le mieux: la piéce commence à vivre et échapper à tout le monde (à la créatrice en premier). Je reverrai, bientôt, Les Bois de L'Ombre, pour surement y revoir du nouveau.

    C'était une étape de travail des Bois de l'Ombre, de et par Maxence Rey, avec Cyril Leclerc (lumière) et Vincent Brédif (création sonore), en résidence à Mains d'Oeuvres. La piéce sera présentée aux professionnels le 25 septembre, dans le cadre des plateaux de la Biennale de Danse du Val de Marne.

    Guy

    Lire aussi Jerome Delatour

    photo de Jérome Delatour- Images de danse

  • Identités

    Il n'y a pas l'ombre d'un garçon dans le studio de danse de Mains d'Oeuvres; il y a toutes ces filles qui mangent des chips, rentrent et sortent par deux ou trois, complotent, papotent, en groupes qui se font et se défont. Qui saturent le lieu de leurs petites voix aigues, qui trompent le trac qui monte avec les apparences de l'insouciance et des pointes d'excitation. Les plus grandes parmi ces jeunes pousses- de 12 à 14 ans- ne sont pas les moins dissipées. D'autres- mais qui se font moins remarquer- maintiennent intacte leur concentration. Réfugié sur les gradins, j'observe à bonne distance ces vagues juvéniles qui vont et viennent, débordent de tout cotés le sérieux des adultes. Une accompagnatrice du collège, à intervalles réguliers, hausse fort le ton avec une inefficacité flagrante.

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    Photos de Jean Marie Legros, avec l'aimable autorisation de la compagnie Absolumente et des parents des girls.

    Au milieu de tout, d'humeur un peu forcée, Jesus Sevari poursuit les préparatifs. Cet après midi est remplie à 80 % de temps d'attente: le réglage des lumières, des placements, les accessoires égarés, les incidents de sonorisation... Yann Le Bras porte et supporte l'ensemble de ces problèmes avec une étonnante patience, jusqu'à la répétition, qui finit par commencer... Malgré la propension des filles à se disperser et disparaître dans un espace pourtant limité, avec pour ultime excuse de se précipiter aux toilettes. Le moment du filage enfin venu, on entend soudain plus un mot, juste encore des maladresses et des oublis. Mais bouches cousues, partagé par toutes un silence religieux. Sans trop intervenir désormais, Jesus recommande aux filles de prendre leur temps sur scène, ne pas se précipiter. La chorégraphe a déjà animé ici et au collège de Saint Ouen une dizaine de séances de répétitions. Je m'amuse à retrouver déclinés par les filles certains gestes du solo en cours de création, « Accumulation#1 », on croirait parfois reconnaître parmi elles des Jesus miniatures en action. Certaines d'entre elles semblent très assurées, l'autorité du professeur et modèle bien assimilé, reprise à leur compte.

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    Puis Jesus à son tour répète, ondule et fascine, fait la belle, la bête, la star et le soldat. Depuis ma dernière visite, la pièce s'est de plus en plus déterminée. Jesus appréhende toujours la réaction des parents qui viendront ce soir, lors de ce court moment au court duquel elle brandira contre ses reins le pouce géant créé par Yann, à la manière d'un phallus postiche. Quoiqu'il en soit, à ce moment du filage, loin de paraître choquées, les filles pouffent discretement. Il en faut sûrement bien plus pour traumatiser des collégiennes en 2009. A la fin du solo de Jesus, toutes les stagiaires applaudissent.

    Bien des préparatifs plus tard, l'heure est arrivée. Les filles ressurgissent des loges, vêtues superbes de rose et mauve, des étoiles dans les yeux, maquillées. Se regroupent main dans la main sur la scène pour un dernier encouragement, toutes ensemble mais contre personne. Ravies de répéter « merde » pour se souhaiter bonne chance, en toute impunité. Le temps de s'inquiéter que les parents trouvent le chemin du studio de danse, la salle est comble. D'abord Jesus danse son « accumulation#1 » tel qu'en cours à ce jour. Les filles sont admiratives et complices, du premier rang n'en finissent pas de se retourner pour guetter derrière elles la surprise et l'approbation dans les yeux des parents. Puis les girls osent, à leur tour y vont.
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    A quatorze investissent l'espace, courent sans se heurter, se portent les unes les autres, solidaires et affirmées, se supportent. Même les plus frondeuses durant l'après midi jouent le jeu. La lenteur est assumée, en humour et équilibre, même une pomme sur la tête. Les gestes de Jesus sont par toutes appropriés, les individualités surgissent. Non pas en exploits physiques ou virtuosité- il n'y a rien ici de d'extrêmement technique- mais par l'audace et l'intégrité. Ainsi elles désarment mes exigences. Ce ne sont pas des nouvelles stars, ce ne sont pas des petits rats, elles n'iront pas à Avignon, ne discourent pas sur la démocratisation culturelle, elles dansent simplement. L'identité reste au cœur des gestes, exprimé à l'aide d'un langage loin du quotidien, avec des outils pour se dire autrement, par des jeux mystérieux et émancipateurs. Pour affirmer une identité plus vraie que la diversité des origines et des particularités, dans le mouvement inexorable qui les éloigne de l'enfance. Chacune se découvre à se montrer, chaque corps affirmé loin de ses repères habituels, certaines encore l'air de s'étonner elles-mêmes, toutes attentives aux autres pourtant. Une petite fille noire, toute menue, prend la parole avec une autorité sans appel. C'est un moment surprenant, mais la chorégraphie de Jesus ne laisse nulle d'entre elles de coté, quitte à mettre parfois en évidence les fragilités, mais désamorce la compétition entre elles.

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    Au moment des applaudissements de leurs familles les girls ont bien du mal, après des saluts répétés, à se décider à quitter la scène, trouvent le moyen d'y revenir pour de nouveaux remerciements, et remettre à Jesus un diplôme de leur cru. Refusent de laisser au passé ce moment, éphémère mais important, pour elles évidement, aussi pour nous montrer pourquoi, comment existe la danse.

    C'était « Accumulation#1 », solo en cours de création par Jesus Sevari, et « Girls », pièce pour 14 filles de 12 à 14 ans du collège Michelet de Saint Ouen.  Le 2 juillet, à Mains d'œuvres.

  • Identité

    Le lieu du rendez vous est en retrait d'un point de passage, aux carrefours de Villejuif, Vitry, l'Hay Les Roses, Bagneux. Au bord de la nationale 7, qui du temps d'avant l'autoroute, guidait Paris vers le midi. Aujourd'hui si l'on prend le temps de s'arrêter, entre un casse-auto et un fast-food, une barrière s'ouvre à l'entrée d'un domaine verdoyant. Les allées longent d'imposants bâtiments de briques dans le style des années 20, aux allures endormies. On me guide le long de couloirs déserts et silencieux, comme des habits trop grands pour nous. Jusqu'à la salle qui tient lieu de studio de danse, vaste, très haute de plafond et un peu délabrée. En y pénétrant on se demande pour quel usage elle a été conçue. Mais les chorégraphes sont des oiseaux migrateurs qui, ici ou là, pour quelques jours ou quelques mois, font leurs nids.

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    Jesus Sevari vient de loin, ne m'est pas une inconnue. En ce lieu pour travailler ce solo, elle n'est pas seule non plus. A ses cotés Sven Lava, musicien et guitariste, mais qui ce jour là l'accompagne plus largement qu'avec sa musique. A la chorégraphe il prête aussi ses yeux, dans un subtil retrait se laisse interroger. Jesus entend danser « L'identité, de Santiago du Chili à Paris". C'est un thème généreux, dangereusement générique. J'y reconnais un écho de l'autre projet montré au Regard du cygne, autour des statuts d'artiste et d'étranger.

     

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    Ces studios de danse semblent aussi vierges et froids que des pages blanches, des pages de papier glacé. Jesus a ici aussi un cahier, un cahier à spirales, que parfois elle consulte, un cahier fatigué et griffonné. De ses pieds sur le sol peu à peu elle retrace une histoire, d'abord en crayonnés, repasse au net ligne après ligne, une imaginaire autobiographie. Elle marque peu à peu au sol au sol des repères presque invisibles, tracés de craie, de ruban adhésif. L'espace s'organise autour de correspondances invisibles. Se Structure autour des créations plastiques de Yann Le Bras, qui rappellent un peu les pouces du sculpteur César. Et évoquent aussi des phallus, explique Jesus. Qui revient à son cahier bleu, le relit à voix basse en esquissant mots et équilibres.

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    Bien avant la danse s'impose la présence. Dans le cas de Jesus, avec évidence. L'identité s'affirme déjà par là: une féminité solide et chaleureuse. Qui séduit, parfois dérange. Terrienne et sereine, c'est ensuite que surprendront des échappées aériennes. J'appréhende de trop parler de la danse en elle-même, qui se construit encore sous nos yeux. Mais la matière en parait déjà prête et consistante, assez affirmée pour être vue et qu'aujourd'hui Jesus, pour Jérôme et moi, ouvre les portes. Cette matière est encore à affiner, à organiser. L'identité est le sujet, « Accumulation#1 » en est le titre. C'est précisement l'accumulation qui m'avait gêné pour pleinement apprécier la dernière pièce, trop hétérogène à mes yeux. J'avais été par la suite plus touché par la manière dont Jesus s'exprimait dans d'autres contextes. Aujourd'hui je suis rassuré par la continuité de ce solo, qui se déroule comme sur une ligne, rassuré par son rythme. Et j'en accepte les détours aussi, les clins d'oeil, les imprévus. Je vois de l'assurance et de la vitalité, de l'exubérance. Je crois que l'harmonie ici est le but, le sens ressenti. Au début de ce récit le corps ondule tranquille, sur un axe des épaules au bassin, bras bien posés en ligne. Appuyés sur cette présence solide les événements s'accumulent par signes, des images inexpliquées, oniriques, qui permettent à la danse de nous ouvrir et nous apaiser, de nous retrouver nous-mêmes par appropriations et coïncidences. Sur cette base du « soi », tous les événements qui construisent la mémoire pourraient se partager, tant l'ensemble semble apaisé. Je n'éprouve aucun besoin de demander à Jesus ce qu'il y aurait de spécifiquement intime dans tel ou tel épisode de cette construction identitaire. Comme à chacun, tout peut m'appartenir.

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    L'humour ponctue cette anti-narration, présent dans le regard de Jesus, pour compenser l'intensité d'autres moments: grimaces et oreilles de lapin, play-back sur un succès chilien des 70's, sur un fond musical qui nous est commun de variété internationale, ligne de basse à la Brian Wilson et crescendo pompier. De même que la musique d'Amy Winehouse reprend du déjà entendu des chansons soul des années soixante. Avec ses gestes Jesus ne se cale pas sur la musique, mais sur une respiration plus intérieure, qu'elle manifeste parfois en marmonnements. Sven transfigure ces thèmes en y superposant du feed-back. Il est habillé de rouge et vert, comme Jésus aujourd'hui: coïncidence ?

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    Sven conseille Jesus, qui recherche des poses par lesquelles elle pourrait utiliser toutes les sculptures de Yann, les épouser. Elle les manie avec précaution, de peur de les casser. Des tableaux troublants se succèdent, qui tous rassemblent et confondent les objets avec elle. Jérôme est sollicité pour prendre des photos des différentes positions expérimentées. Je me résous moi-même à surmonter mes réticences, à donner mes propres avis, forcement illégitimes mais sûrement moins que l'indifférence. Un mois plus tard à Mains d'œuvres, je verrai que c'est encore une autre solution que Jésus aura retenue. A ce moment je me sens plus à l'aise à parler avec elle plus autour du projet que du projet lui-même. Jesus me raconte le travail en cours avec un collège à Saint Ouen, et celui- plus délicat- qu'elle mène à la prison pour femmes de Fresnes. C'est en compagnie des collégiennes que je reverrai Jesus danser, quelques semaines plus tard.

    Renseignements pris, ce lieu où aujourd'hui se recherche et se danse l'identité, est un ancien orphelinat.

    C'était une répétition d'Accumulation#1, de Jesus Sevari, au CDC/Biennale de danse du Val-de-Marne

    Guy

    Photos avec l'aimable autorisation de Jérome Delatour- Image de danse... Les photos sont ici

  • Faggianelli au delà des fleurs

    On accepte le risque de se laisser apaiser. L'invisible est ici le projet, et la présence un signe. Fragile, subtil. On entend le tissu qui respire, crisse, la robe noire qui se soulève. Le torse se courbe et se tend, mû d'en dedans. Porté.

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    Elle tremble, au bord d'une transe. Se devine aussi éphémère que les fleurs coupées. En un instant de crépuscule, l'immobilité. Une, deux... Ce duo ressemble un écho, on apperçoit des allers retours entre les avants et les aprés de ces deux personnages féminins. On ne voit pas, on devine. Les correspondances naissent. Des évocations justes esquissées, des souvenirs sereins, jamais mièvres. Diane bande son arc, une nymphe rève, se transforme en une danseuse espagnole. Des arrêts, des disparations laissent tout en suspend, chaque histoire s'évanouit avant d'être, comme le frôlement d'une invisible ligne, et l'abandon de tout regret. Les fleurs se répandent, les courses coulent et se troublent dans une mer de pétales. Plâne le parfum d'un deuil tranquille, une danse qui ne durerait qu'un été. Le calme prend de l'ampleur, de la densité, le temps s'entend. Leger, on se tait.

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    C'était Récits dispersés de Marie-Jo Faggianelli, avec Marie-Jo Faggianelli et Wen-hsuan Chen.

    A Mains d'Oeuvres, ce soir et demain.

    Guy

    A lire: Images de danse

    Photo 1 de Mohamed Khalfi avec l'aimable autorisation de Mains d'Oeuvres

    Photo 2 Jérome Delatour- Images de danse

  • Geisha Fontaine et Pierre Cottreau: la mécanique en pieces

    Pas de vivant mais du nouveau... C'est à dire des objets, des robots. L'obscurité a pris son temps, la musique bourdonne et ondule, l'espace se structure peu à peu de petites mécaniques en mouvements, qui chacunes dessinent leur chemin, indifférentes. Leurs formes sont élémentaires, épurées, apaisantes.

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    L'intéressant c'est que ces robots ne ressemblent pas à des robots. Pas futuristes du tout et dégagés d'ambitions anthropomorphiques, ce qui permet de nous garder de tout effet "Wall-E". Pour la raison inverse, on avait pas réussi à vraiment nous intéresser malgré toutes ses qualités à Matière d'être- l'autre pièce présentée la même soirée, qui confrontait un homme et un robot plus élaboré. Ces objets ci n'ont pas de fonctions visibles. Ils ne renvoient à rien d'évident, leurs trajectoires ne font pas des histoires. On peut éventuellement leur faire endosser des caractéristiques- beaux, ludiques, plastiques -, mais de là à leur prêter des personnalités.... En tout cas ils sont là et de plus en plus. Ils ne dansent pas, ils bougent. Maintenant ils sont l'environnement, tout entier à déchiffrer, éventuelle métaphore d'un monde moderne et mécanique. Que faisons nous de cette vision? Tout de même, l'humanité est rentrée par la petite porte. Les deux danseurs cherchent quant à eux leur place dans cette forêt de symboles. Ainsi faisons nous, nous aussi. Comme lors de la visite d'un musée en mouvement. On pense irrésistiblement aux hommes préhistoriques confrontés au monolithe de « 2001 l'Odyssée de l'espace ». Avec les mécaniques autour d'eux les deux hommes cherchent équilibre et harmonie, se livrent ensemble à d'étranges cérémonies. Les objets se multiplient, ronds, carrés, grand, petits, toujours noirs et blancs, simples et jamais menaçants. Libres de nos trop pesantes émotions et vulgarités. Ils sont drôles pourtant, tel cet engin aux érections épisodiques (on se libère jamais de la tentation anthropomorphique...). L'envahissement géométrique se parfait, jusqu'à la saturation, pour un ballet final avec lâchers de ballons, d'une frénésie silencieuse et impassible. Peut-être pensent-ils, donc nous bougeons, psychologie oubliée au profit de la dynamique. La pièce aurait -elle pu être juste avec eux, sans les vrais danseurs et leur médiation? L'épreuve est réussie: nous avons symboliquement survécu à cette mécanisation, l'avons acceptée. Le spectacle reste vivant.

    C'était Une Pièce Mécanique de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, à Mains d'Oeuvres, dans le cadre d'une soirée partagée avec L'étoile du nord pour Avis de turbulences. Cette année le festival des nouveaux mythes: essentiels, rituels, mécaniques ?

    Guy

    Lire Rosita Boisseau dans Le Monde

    photo par Pierre Cottreau, avec l'aimable autorisation de Mains d'Oeuvres

  • Les Territoires d'Olivier Renouf

    On se souvient d'un éminent critique qui expliquait qu'il ne saurait exister de danse abstraite. Car par définition la danse s'incarne dans des corps, bien concrets. La démonstration est implacable. Il n'empêche que le fait que le spectateur commette souvent cet abus de langage est significatif. L'usage de cet adjectif sonne le plus souvent comme un reproche, une reaction au désarroi de voir les gestes trop étrangers et jetés hors de tout contexte, c'est le constat d'un divorce.

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    Mais ce soir, on est positivement rassuré. Le mot clé est matière. Dès l'attaque, qui évoque une brusque naissance, les corps cherchent leur place, animaux. Bruts et impatients, aussi actifs que notre regard, aussi inquiets que nous. Les danseurs essaient et se trompent forcement, recommencent, nous cherchons. On entend des accords de piano brisé, des éclats d'émotions. Deux hommes et une femme, les têtes s'appuient contre les épaules des autres, comme une maladroite embrassade inventée dans l'ignorance des voies du sexe. Le groupe se forme, la succession hachée des gestes crée l'étrangeté. Un bois est planté dans un sac de terre, l'esquisse d'un premier point de ralliement, une entreprise pour rassembler? La danse se répète, laborieuse dans le sens positif du terme, la gravité s'installe sans lourdeur. Remarquablement, de la grace est instillée dans la vigueur. Les gestes se lestent de terre, concrets. Un champ est construit devant nous, ni sémantique ni thématique, mais de simple terre et de quatre morceaux de bois. Mais, sans doute, peut-on le lire en tant que signe, également? C'est fini, nous sommes là, matériels et vrais.

     

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    C'était Champs d' Olivier Renouf, avec Marine Fourniol, Vincent Curdy, Olivier Renouf, A Mains d'Oeuvres

    Samedi encore, suivi de Daybreak d' Erika Zueneli  à L'Etoile du Nord.

    Guy

    photos (d.r.) avec l'aimable autorisation de la compagnie l'Yeuse

  • Matthieu Hocquemiller recolle les morceaux

    Doit-on venir aux répétitions générales. Où doit on filer des filages? D'un coté on est trés heureux d'être invité, et avec des gens qu'on a plaisir à rencontrer. De l'autre, il y a toujours un projecteur ou autre chose en panne et qui sera réparé pour la générale, les photographes au premier rang qui font du boucan, sur scène une concentration qui se laisse encore trop voir et des enchaînements qui flottent un peu, derriere  la arton390.jpgconscience de l'absence de public, de son attente et de ses frémissements, et surtout partout la présence du chorégraphe, absolument sympathique mais absolument flippé, qui s'excuse d'avance de présenter tout sauf la pièce car elle ne sera bien vraiment réglée que le lendemain, nous demandant de ne pas trop juger mais nous laissant voir quand même, nous laissant confronté à l'injonction paradoxale parfaite. C'est d'autant plus perturbant pour une pièce qui s'efforce de réussir une juxtaposition de formes vers la synthèse. Ce soir, l'énergie semble encore trop retenue. Le danseur joue de la masse, bonne idée. Mais fracasser une chaise et deux paquets de céréales, c'est trop, ou trop peu. En conclusion, on a pas vraiment vu "J'arrive plus à mourir". Mais on va en parler quand même bien sur, ou au moins on va essayer de parler de ses morceaux.

    Mon tout parle du deuil de l'avenir, les parties sont constituées par autant de debris du monde qui reste. Les paradigmes sont ébranlés et les danseurs peinent à s'y raccrocher, tombent en belles glissades le long du toit de la maison. Se laissent aller à quelques pas de danse déglinguée et mains dans les poches, nous évoquent Joe Cocker à Woodstock, comme un pied de nez aux dernières utopies et idéologies du progrès. Ils se vautrent faute de mieux dans le consumérisme, infantilisés, renversant partout le pop corn, gavés de gelée rose jusqu'à la régurgitation. Encore un peu punk ou rock ou disco, bien que plutôt anesthésiés, trompent l'ennui en positions sexuelles dignes des pieces de Kataline Patkai, se laissent théoriser et commenter par Miguel Bénasayag. Même si à écouter le philosophe on reste sur sa faim, au moins ses interventions sont-elles intelligibles, et au coeur du sujet....

    Ce sujet est perilleux. Rodrigo Garciaest déja passé par là pour nous en dégouter. Ronan Cheneau et David Bobbé, bien que plus subtils quant à la mise en forme, ont achevé de nous déprimer. Heureusement, il y a ce soir des raisons d'espèrer. Déja dans les textes, d'un tout autre niveau. Dits au bord du gouffre et les yeux fermés, il y a dans ces mots l'ébauche de sourires même tristes, d'une élégance plus tout à fait desespérée. Déja de belles étincelles. Et quand tout est dit du marasme, reste ou nait l'envie de danser. Même avec inquiétude. Tout va mal peut-être, si le temps ne va plus en avant. Le théatre nous le fait juste constater, on veut croire que la danse peut nous sauver. 

    C'était "J'arrive plus à mourir" de Matthieu Hocquemiller, avec Elise Legros, Evguénia, Cyril Viallon et des entretiens en video avec Miguel Benasayag. C'était à Mains d'Oeuvres.

    Guy

    P.S. : A voir ici, le photos du gars bruyant au premier rang

  • Les corps de Sofia Fitas

    Elle nous renverse. D'abord nous aveugle. De métamorphoses. Nous déshabitue. Puis dirige le regard à la loupe. Le focalise, le brouille, le morcelle. Casse tout des constructions habituelles. Joue des oppositions: belle robe, mais matière plastique. De face, le visage à disparu. Parti à la renverse. 1459501198.jpgescamoté. Ceci n'est plus une danseuse. Cou et menton forment un autre. Un être, reptile? Mutant? Primitif? Qui se cherche. D'abord en lenteur. Repères bouleversés. Après se présentent les muscles du dos. Forment d'autres figures. Des créatures, sous la peau. Il y a foule. Qui produit contrastes, contractions. Torsions. Grouillements et conflits. En nudités émiettées. Micro-organismes. En perpétuelle évolutions? Les membres font combat. Font sécessions. Comme chez Maria Donata D'Urso... Le mouvement en plus? Plus innovant. Plus exigeant. Plus ambitieux. Car elle bouge. Ouvre des possibles. Elle court, sans courir. Sur de nouvelles trajectoire. Toujours l'entier se dérobe. Ne livre une humanité éparpillée. Ou complexe? Un corps au pluriel. Dirigé par un esprit détaché? Par un système extérieur. Elle est, mais par morceaux. Elle se refuse humaine. Au depit de l'émotion? Mais l'inimaginable vu ouvre l'imaginaire. Le chemin est aride, rigoureux, escarpé. Peut en décourager plus d'un. Elle ne se montre pas, toujours. Jusqu'au bout, sans identité. Nulle apparition de visage, nul coup de théâtre, nulle révélation. C'est risqué, et beau. Enfin elle s'efface, se coule dans le noir. Nous laisse en stupéfaction.

    A la sortie: une discussion...ou un exposé? Une volonté et une vraie profondeur. Une réflexion sur le corps qui échappe au lieux communs. De l'exigence, de la générosité, du sérieux. Pour une fois, le mot recherche n'est pas utilisé en vain. On repart avec Gilles Deleuze au programme. A suivre.

    C'était Experimento 1, ♥♥♥♥♥ solo de Sofia Fitas, à Mains d'Oeuvres. Et ce soir, samedi, encore.

    Guy

  • Eleonore Didier de A à Z

    Sur la feuille de salle de LAISSERVENIR, Eléonore Didier  suggère un abécédaire. Hélas réduit à 16 lettres (dont 2 "D" et 3 "E"). Propositions 74264464.jpgpour un alphabet complet:

    • A comme Anorak, à même la peau, couleur de pauvreté, d'une remarquable laideur. Une manière de prendre ses distances avec la beauté dansée?
    • B comme Basculement, leitmotiv dans le vocabulaire gestuel mis à contribution, au sol ou sur/sous/dessous/dessus/autour de l'Echelle.
    • C comme Chaussettes à tête de mort. Eléonore Didier n'en porte pas (s'en tient au strict Anorak). Ce qui clos une longue contreverse interprétative avec J.D.
    • D comme Danse?. Ou autre chose? C'est une question qui rapidement passe au second plan.
    • E comme Echelle. (Ou Escabeau). Un accessoire vulgaire par excellence. Qui ancre la performance dans la banalité du quotidien. Aussi dur et froid que chaude est la peau. Mais qui est théâtralisé durant la performance en une pure forme pyramidale, un terrain de jeu, un lieu dans le lieu.
    • F comme Frustration: (voir quinze Minutes)
    • G comme patins à Glace, le seul accessoire absent de  la matrice de Paris Possible. Un outil d'instabilité?
    • H comme Humour. Qui surprend au détour. Par le détournement du quotidien. 
    • I comme Imaginaire. Stimulé. 
    • J comme Jeu avec notre regard. Dirigé. 
    • K comme Kafkaien. La performance fait qu'on s'y perd peu à peu. L'espace parait hostile. La danseuse porte son Échelle, il semble qu'elle hésite avant de trouver l'endroit pour l'installer.
    • L comme LAISSEZVENIR. Pourquoi Ce titre en un seul mot? Est ce une allusion au dualisme activité/passivité?
    • M comme quinze Minutes à comparer aux deux heures de Paris Possible. Donc tout a changé. Quinze minutes qui sont irritantes et passionnantes. C'est entendu. Mais c'est beaucoup, beaucoup trop court.
    • N comme Nue.
    • O comme Oser. A tous points de vue.
    • P comme Paris Possible. Formellement, LAISSEZVENIR est une variation à partir de Paris Possible . Pour l'essentiel une variation à partir de ses dernières minutes. Mais dans son format de quinze Minutes, LAISSERVENIR devient tout autre chose. Et, paradoxalement, c'est plutôt dans Solide, Lisboa qu'on retrouve l'esprit de Paris Possible. Et l'expérience d'instants étirés.
    • Q comme Cul Écrivons-le net et sans précautions, car c'est peu de dire que le sexe se donne à voir cru sous l'Anorak, sans distance esthétisante, tranquillement provocateur. Et de manière tout à fait anti-conventionnelle, c'est l'essentiel.
    • R comme Rythme. Volontairement cassé, détourné, étiré, trompé. Toujours au bord de s'arrêter.
    • S comme Sans-dessus dessous, jambes en l'air, tête en bas, Anorak flottant, fesses au milieu. Une recherche- dans l'inquiétude- vers de nouveaux équilibres? Vers l'envol?
    • T comme Triangle, formé par l'échelle. Image d'un phallus ou d'un triangle pubien? L'ambiguïté de l'identité sexuelle, par rapport aux rôles actifs/passifs, serait au coeur des intentions de la pièce.
    • U comme Universalité. Ce qui est permis par la sobriété et le dépouillement. Par le silence, Par l'ambiguïté. Par l'humanité?
    • V comme Variations. Vers l'épuisement des positions. Peut on trouver sa place sur une Échelle? Même symbolique?
    • W comme Variations au carré.
    • X comme X: a-t-on pensé à écrire plus haut que l'érotisme est plus que présent dans la pièce?
    • Y comme Yoga: de long moments immobilisés. Sans lasser.
    • Z comme...?

    C'était LAISSERVENIR ♥♥♥♥ de et par Eleonore Didier, à Mains d'Oeuvres. Hier, et aujourd'hui samedi encore.

    Guy 

    A lire: laisser venir revisité, juin 2009